La Terre demeure
Je viens de terminer La Terre demeure, un livre post-apocalyptique (j’adore ce genre, que ce soit en livre, en film, ou en série. Je pense que je vais faire un article à ce sujet. Un jour.) manifestement bien connu outre-atlantique – George R. Stewart, son auteur, est américain – mais beaucoup moins en France. Du coup, je me suis dit qu’un petit article sur le sujet ne serait pas plus mal, d’autant plus que j’ai pas mal de chose à dire dessus.
Mais avant tout, commençons par le pitch. Celui-ci est fort simple : Ish, un étudiant en géologie, est perdu dans les montagnes pour ses recherches quand il est mordu par un serpent à sonnettes. Il survit (encore heureux) et part chercher du réconfort à la ville voisine, qui est… déserte. Rapidement, il découvre qu’une pandémie rapide et brutale à tué quasiment toute la population des États-unis, et part en voyage à travers le pays pour voir un peu ce qu’il en est. Ensuite, il revient chez lui et vit une petite vie grégaire, avant de se trouver une femme et de fonder une petite communauté (« la Tribu »). On suis l’évolution de celle-ci en trois périodes : à ses début, 22 ans après, et ensuite encore une quarantaine d’année plus tard, toujours par l’intermédiaire des yeux d’Ish qui est en quelque sorte le guide spirituel de tout ce petit monde.
Bref, rien de bien révolutionnaire. Je dois préciser que le roman date de 1949, et même si les thèmes abordés sont étonnement moderne, certaines idées sont pour le moins décalées (j’y reviendrai). Si j’ai globalement bien aimé l’histoire (en tout cas, je l’ai lu rapidement), j’ai néanmoins pas mal de points qui m’ont donné envie d’écrire un article (ledit article me servant plus à réfléchir et à structurer mes idées qu’à autre chose).
Au fil de la lecture, on remarque vite que l’auteur ne va pas tellement s’interesser à la survie d’Ish et de ses compagnons. On la tient pour acquise, et les détail de celle-ci sont passés sous silence. Ils utilisent ce qu’il reste « d’avant » (nourriture, arme) sans se poser de question (sauf Ish) et n’ont qu’à se servir dans les magasins désertés. La question n’est donc pas comment ce groupe d’humain va (sur)vivre, mais comment la civilisation va le faire. Va-t-elle disparaitre, laissant les hommes au niveau des grands singes ? Seul Ish se pose ces questions, les autres se contentant de profiter des ruines du passé. Du coup, on assiste à ses longs monologues intérieurs où il débat de la nécessité de porter haut les couleurs de la civilisation et des moyens de le faire.
Le truc, c’est que Ish est le seul mec intelligent du lot. L’auteur se plait à rappeler toutes les deux pages à quel point Ish considère les autres moins intelligents (pas forcément à tort, ceci dit) voir même complétement sot. On a là un brochette d’américain moyen, et Stewart nous fait un bel étalage de leur stupidité : par exemple, Ish est le seul à avoir ne serait-ce que les plus basique des notions géographiques du pays. C’est un peu dommage de n’avoir que des personnages secondaires illetrés (les enfants de la Tribu sont trop bête pour apprendre à lire) prenant Ish pour un demi-dieu car il sait que derrière les montagnes il y a un désert.
Forcément, on a donc du mal à s’attacher aux personnages. Même Ish nous tape vite sur les nerfs : il est le chef effectif de la communauté, mais il est incapable de prendre une décision rapidement. Trop souvent, il pense qu’il faudrait faire quelque chose, mais ne le fait pas pour des raisons incompréhensibles et non-expliquées. Un passage profondément révélateur de son incapacité à dire et à faire les choses qui s’imposent (le passage suivant se déroule alors qu’il tente de donner des cours aux enfants) :
« Comment croyez-vous que toutes ces choses… – il [Ish] eut un geste large de la main… – comment le monde a-t-il été créé ? » La réponse ne se fit pas attendre. Weston se chargea d’exprimer l’opinion de tous.
« Eh bien, ce sont les Américains qui ont tout fait. » Ish eut le souffle coupé. Cependant il comprit tout de suite l’origine de cette idée. Quand un enfant demandait qui avait fait les maisons, les rues ou les conserves, un des parents tout naturellement répondait que c’était les Américains. Il posa une autre question.
« Et les Américains, que savez-vous d’eux ?
— Oh ! les Américains, ce sont les vieux de l’autre monde. »
Cette fois Ish eut quelque peine à comprendre. « Vieux de l’autre monde. » Ce n’était pas une simple allusion au passé mais une sorte de mythe. « Vieux de l’autre monde », c’était sûrement des êtres surnaturels. C’était le moment où jamais de remettre les choses au point.
« J’étais…», commença-t-il. Puis il s’interrompit et rectifia, car il ne voyait pas pourquoi il emploierait le passé. « Je suis un Américain. »
Telle avait été sa pensée mais les enfants avaient mal interprété ses paroles. « Je suis Américain », avait-il dit, et ses jeunes auditeurs avaient hoché la tête, interprétant : « Oui, bien sûr, vous êtes un Américain. Vous savez des choses extraordinaires que nous, simples mortels, nous ignorons. Vous nous apprenez à lire et à écrire. Vous nous dites que la terre est ronde. Vous jonglez avec les chiffres. Vous portez le marteau. Oui, c’est évident, les gens comme vous ont fait le monde et vous êtes le dernier survivant de l’ancien temps. Vous êtes un des vieux de l’autre monde. Oui, bien sûr, "vous" êtes Américain. » […]
Il ne trouvait plus ni question ni réponse. « Sortez, cria-t-il, la classe est finie ! »
Voilà voilà… Il se rend compte qu’il y a une incompréhension fondamentale, et plutôt que de prendre le « problème » à bras le corps, il abandonne aussi vite que possible.
Pour résumer, on est pas tellement interessé par les personnages. Et malheureusement, Stewart ne se sert de l’histoire que comme prétexte à ses réflexions philosophiques sur l’avenir de la civilisation. Les rares moments qui pourraient avoir une certaine intensité dramatique sont soignesement évités ou ellipsés (Ish est victime d’une attaque de puma qui le laisse boiteux : trois lignes sur le sujet). Pas de suspens, pas de personnages… Mais c’est que je dresse un fameux tableau de ce livre moi !
Mais revenons un peu sur la stupidité des personnages. On aurait pu dire qu’ils étaient « terre à terre » ou « pragmatique », mais non, l’auteur insiste bien (trop ?) sur le fait qu’il sont irrémédiablement stupides, tous autant qu’ils sont : les anciens (les survivants) et les enfants. Tous, sauf Ish et un de ses enfants. Et c’est là le cœur du livre : vaut-il mieux vivre sans se soucier du lendemain (c’est à dire de comment il feront quand la manne représentées par ce qui reste de la catastrophe aura disparu) comme ils le font tous, ou se préoccuper de perpétuer le savoir et la civilisation, comme le voudrait Ish ? Finalement, un consensus se dégage de par la force des choses, et Ish parviendra à leur inculquer certaines notions de technologie pour aider la communauté à survivre : les arcs, et les forets à arçon pour faire du feu. Oui oui. Quand je vous dit qu’on les prend pour des débiles, je ne vous mens pas.
Bon, je me rend compte que j’ai écrit un petit pavé qui descend un roman que finalement j’ai plutôt apprécié (oui, je suis fait de contradictions), du coup je vais m’arrêter là (et comme je suis un gros flemmard, je vais même pas me relire, donc cet article sera pleindefautes-proof©). Je me relirai un dimanche pluvieux où je n’aurais rien à faire.